Transition professionnelle : osez les vacances !

Les vacances sont indispensables pour mettre votre appareil neurophysiologique sur ” pause “, recharger les batteries et peut-être vous offrir le ” reset ” dont vous avez besoin. C’est particulièrement vrai si vous êtes entre deux jobs, et pourtant…

Juillet tire à sa fin. Si vous n’êtes pas en vacances, et si, bien sûr, vous en avez la possibilité matérielle, cela ne saurait tarder… En effet, si l’on en croit certaines statistiques récentes, seulement 10% des salariés français partent en juin, 19% en juillet, mais 42% en août et 24% en septembre.

Ce moment est attendu avec impatience par les enfants scolarisés et les actifs. Mais quand on est en transition professionnelle, les choses ne sont pas forcément aussi simples. Problème de budget ? Celui ou celle qui peinait à joindre les deux bouts en travaillant aura sans doute du mal à partir en vacances avec son ARE (allocation de Retour à l’Emploi), surtout s’il s’agit d’un parent isolé. Cependant, l’essentiel n’est pas là : plus de vingt ans d’expérience de l’accompagnement de cadres supérieurs et dirigeants en transition m’ont amplement démontré qu’il n’était pas toujours facile de profiter de ses vacances quand on a pas de travail, alors même qu’aucune difficulté financière ne s’y oppose.

Cela peut sembler paradoxal. Si vous faites partie de ces gens qui, depuis des années, gardent l’œil rivé à l’écran de leur smartphone pendant leurs congés et doivent parfois les interrompre pour gérer une urgence au boulot, vous pourriez être tentés d’envier ceux qui, délivrés de leurs responsabilités, ont enfin la possibilité, une fois déconnectés, de redécouvrir le sens étymologique du mot « vacance » : espace vide ou plutôt espace libéré pour ce que les romains nommaient « otium » et dont nous avons tiré un mot injustement déconsidéré : « l’oisiveté ». Non pas la paresse, mais le loisir de remplir son temps par des activités dictées non plus par la nécessité mais par le plaisir.

En vérité, le paradoxe n’est qu’apparent. Mais alors, qu’est-ce qui cloche ?

En fonction de son tempérament et de sa situation personnelle, chacun se trouvera de « bonnes raisons » de gâcher ses vacances. Toutefois, dans ce florilège navrant, quatre causes se taillent la part du lion : la rumination, la culpabilité, l’anticipation anxieuse, le sevrage[1].

Commençons par la rumination. Son mécanisme est simple : revenir sans cesse sur des événements passés à l’égard desquels, par définition, il n’y a plus rien à faire. Dans le cadre d’une transition professionnelle, elle se décline en de multiples nuances de gris sur quelques thèmes favoris : l’enchaînement des événements qui ont abouti à la perte du job, mais aussi les entretiens de recrutement loupés ou – si la recherche dure un peu – le temps que l’on estime avoir perdu ou en tout cas mal employé. Il est aussi facile d’en reconnaître l’inutilité (ce qui est fait est fait) que difficile de s’en extraire[2].
On est plus ou moins enclin à la rumination. Cependant, rares sont ceux qui parviennent à y échapper totalement. Si vous savez ne pas faire partie de ce club plutôt fermé et si vous n’êtes pas encore adepte de la « Pleine Conscience »[3], des activités mentalement prenantes et si possible physiquement fatigantes pourrons vous aider à les canaliser.

Le sentiment de culpabilité[4] est souvent associée à la rumination. En revenant sur vos erreurs (« je n’aurais jamais dû prendre cette décision ; j’ai manqué de vigilance ; j’aurais dû m’en douter etc. »), vous êtes sûr d’en tirer des sentiments désagréables : tristesse, honte, colère contre les autres, mais plus souvent contre vous-même, laquelle induit culpabilité et perte d’estime de soi, réveillant au passage un complexe très largement partagé, celui de l’imposteur.
Mais ce n’est pas tout : non content de vous dire (ce qui est un comble !) que – somme toute – « C’est votre faute si nous avez été viré », vous pourrez vous punir en conséquence et gâcher ainsi (bien malgré vous) tous les moments de plaisir et de bien-être qui pourraient se présenter tant que vous n’aurez pas retrouvé du boulot et réparé vos erreurs.

Si vous avez dépassé le stade de la rumination et que vous êtes tendu vers l’avenir et la recherche active de votre prochain emploi, il n’est pas impossible qu’une petite voix vous murmure à l’oreille : « Les vacances, c’est pour ceux qui travaillent ; tu ne travailles pas, donc tu n’as pas droit aux vacances : CQFD !”.
Mais voici : le conjoint et les enfants n’ont aucune raison d’être punis, alors on se fait violence et l’on part en vacances, inconsciemment mais non moins fermement résolu à surtout ne pas en profiter !

Tout cela peut vous paraître bien tordu. Pourtant, vous n’avez pas besoin d’être « maso » pour vivre ce genre d’expérience. Tout est une question de cohérence entre votre appréciation de la situation et votre système de valeurs. Car, aussi navrant que cela puisse paraître, ce besoin de cohérence est beaucoup plus important que l’aspiration au bonheur.

Il n’existe pas de remède miracle contre le sentiment de culpabilité. Mais si l’on veut y faire quelque chose… encore faut-il en prendre conscience ! Ce point de départ étant atteint, il vous sera possible de commencer à le mettre à distance en utilisant pour ce faire la partie « Adulte » la plus rationnelle et factuelle de votre personnalité. Un dialogue interne bien mené peut-être utile. Trouver pour en parler une oreille attentive et bienveillante vous aidera plus sûrement à vous accorder les permissions dont vous avez besoin. Toutefois, si le malaise persiste, un travail d’ordre thérapeutique pourra s’avérer nécessaire.

L’anticipation anxieuse est exactement le contraire de la rumination, puisqu’elle porte sur l’avenir. En revanche, elle est tout aussi fatale à notre capacité à jouir de l’instant présent.

« Combien de temps va durer ma recherche ?… Si je reste trop longtemps hors marché cela va me pénaliser… Et si j’arrive en fin de droit ? Et si je ne retrouve pas de travail ? Et si je me plante dans mon prochain job ? Est-ce que je saurai encore ? etc., etc. Ces pensées s’apparentent à la peur du loup ou du fantôme que l’on expérimente dans l’enfance. On peut évidemment les alimenter par des conversations malencontreuses (« Tu as vu, untel, ça fait deux ans qu’il cherche ; avec le diplôme et l’expérience qu’il a !…) ou par des statistiques plus ou moins encourageantes (« Au-delà de 50 ans… »). Mais en vérité, elles naissent bel et bien dans notre esprit. Nous sommes tous différents et, sans doute, inégaux. Pourtant, nous pouvons avoir tendance à regarder la transition professionnelle sous l’angle d’un fatalisme ancré dans des généralisations (Si j’ai plus de 50 ans et que je suis moins diplômé qu’Untel, que va-t-il m’arriver ?). En fait, avant les conditions d’âge ou de pedigree, ce sont précisément la lucidité, l’optimisme[5] et la combativité qui font la différence entre ceux qui retrouvent rapidement une activité et les autres.

Quand un enfant a peur du loup ou du fantôme, il n’est pas inutile de mener avec lui une inspection en règle sous son lit et dans les placard de sa chambre, sans oublier, avant de le remettre au lit avec un gros câlin, de vérifier que la porte d’entrée est bien fermée.
Alors, si la petite fille ou le petit garçon, en vous, a peur de l’avenir, demandez à votre raison adulte de l’emmener explorer ses angoisses, une à une, précisément, en rentrant dans les faits et les chiffres. Explorez les scénarios catastrophes, imaginez le pire du pire… Vous vous apercevrez que toutes ces perspectives ne sont, dans la très grande majorité des cas, que des tigres de papier.

Parlons pour terminer du sevrage. Qui dit sevrage dit addiction. A quoi ? Au travail, pardi ! Ou plus exactement à cette intensité de stimuli à laquelle les managers contemporains sont devenus accro sans forcément s’en rendre compte.

« Le smartphone ? J’arrête quand je veux ! » Vraiment ?… Quand les petits tintements et vibrations qui rythmaient le quotidien viennent brutalement à se raréfier ; quand les mails qui asphyxiaient vos journées se tarissent et que les sms ne charrient plus leur lot d’urgences qui pouvaient très bien attendre la semaine suivante, qu’éprouve-t-on : un soulagement associé à une délicieuse impression de paix ? Parfois. Plus souvent hélas, c’est une espèce de malaise sinon d’angoisse qui s’installe pour quelque temps : plus un signe de vie depuis un quart d’heure… Le mode « avion » est-il bien débranché ? La sonnerie active ? Y-a-t-il du réseau ?… « Homo connectitus » ne tarde pas à se sentir désemparé quand l’intensité des sollicitations diminue. Or, cette intensité faiblit (en général) fortement dans les semaines qui suivent la cessation d’activité.

Autrement dit, si vos vacances tombent dans cette période critique, vous pouvez vivre deux types d’expérience. Soit vous avez pris l’habitude de pratiquer la « modération connectique » durant vos vacances et vous vivrez un sevrage plutôt aisé ; soit vous n’avez pas pu ou pas su vous y astreindre et votre été risque d’être perturbé.

Avez-vous reconnu les manifestations de l’un de ces quatre empêcheurs de tourner en rond ? De plusieurs d’entre eux ?… Pas de panique ! Et si ces quelques lignes ont réussi à vous faire sourire, vous êtes sans doute déjà sur une voie qui vous permettra  de bien vivre la période estivale.
N’oubliez jamais que définir une offre de service pertinente et trouver le cadre où elle pourra s’exprimer avec succès requiert toutes vos ressources et que ces ressources ont besoin d’être reconstituées régulièrement. Tant que vous disposez des moyens financiers pour rompre avec votre cadre de vie et vos activités quotidiennes, faites-le. Rappelez-vous que vos vacances sont, à l’instar de votre sommeil tout au long de l’année, des moments irremplaçables pour vous permettre d’affronter tous les combats d’une vie.

Alors, bonnes vacances !

[1] Nous approfondirons chacun de ces sujets dans un article spécifique.

[2] Peut-être parce que l’esprit humain se donne, par ce douloureux exercice de mortification intellectuelle, l’illusion de reprendre a posteriori le contrôle de ce qui nous a pratiquement échappé ou dépassé.

[3] La Pleine Conscience (Mindfulness), largement relayée en France par Christophe André, psychiatre et thérapeute polygraphe, a fort intelligemment remis au goût du jour les techniques ancestrales de méditation extrême-orientale. Visant à réinvestir totalement le présent par une discipline de l’attention et de la vigilance, elle apporte un remède sûr aux ruminations comme à tous les autres sinistres agissements de Pensouillard le Hamster (voir notre article : «Éloge de la décroissance personnelle »). Mais attention : sa puissance est directement corrélée à l’assiduité et à la profondeur de votre pratique !

[4] Le sentiment de culpabilité, qui s’accompagne souvent d’une espèce d’inconfort physique, n’a rien à voir avec le fait de reconnaître la responsabilité de ses actes et d’en subir éventuellement les conséquences. Le 4 novembre 1991, Georgina Dufoix (alors ministre de la santé) prononçait, dans le cadre de l’affaire dite “du sang contaminé”, une formule restée tristement célèbre : « Responsable mais pas coupable »… Derrière la maladresse du propos, se dissimule une difficulté réelle qui tient à l’absence, en français, d’une distinction claire entre le champ de la morale et celui du droit, auxquels le terme “responsabilité” renvoie indistinctement. Une difficulté que l’Anglais semble avoir dépassée, en distinguant les mots « accountability » et « responsibility ».

[5] L’optimisme est le contraire du pessimisme, pas du réalisme. Il ne nie pas les faits mais il s’efforce – quand ils sont peu favorables – d’y trouver un point où y exercer le levier de la volonté.