Transitions professionnelles : en finir avec l’outplacement

Importé en France dans les années 70, le terme outplacement est employé désormais pour désigner des prestations dont le contenu, la qualité et la finalité ne sont pas identiques. Il en résulte une confusion regrettable dans l’esprit des bénéficiaires potentiels et parfois – c’est un comble ! – dans l’esprit de certains professionnels de la fonction Ressources Humaines.

En finir avec l’outplacement

Si notre champ lexical ne cesse de se renouveler, certains termes devraient aussi en être « bannis », non parce qu’ils appartiennent à des temps révolus, mais parce qu’ils trahissent la réalité qu’ils sont censés traduire. C’est le cas d’un mot qui me touche de près, puisqu’il parle d’un métier que j’exerce depuis plus de vingt ans : « outplacement ».

Faux-ami

Savez-vous ce qu’est l’outplacement ? Si vous n’avez jamais connu de période de chômage (Pardon, de « transition professionnelle ») sans doute pas. Peu importe. Quelques rudiments d’anglais devraient suffire pour s’en faire une vague idée, et c’est tout le problème ! « Out » évoque la perte d’emploi ; quant au « placement », nul besoin de le traduire puisque le mot existe tel quel dans notre langue. Donc, si l’on accole l’un à l’autre, on en déduira qu’il s’agit de “placer” des salariés “privés d’emploi”, autrement dit, de leur trouver un job. Mais voilà : ce terme d’importation a tout du faux-ami. Car la mission du cabinet ou du consultant en « outplacement » n’est pas de “trouver un job” à ses clients, tout simplement parce que ce n’est ni possible ni d’ailleurs souhaitable, nous y reviendrons.

Quand le dico dec…

Une traduction approximative nous envoie sur une fausse piste, soit. Mais que dit le dictionnaire ? Si l’on en croit le Larousse, outplacement est un mot masculin désignant : une « technique visant à la recherche d’un nouvel emploi pour des salariés en cours de licenciement ».

Nouveau problème : cette définition est doublement erronée ! D’une part, il ne s’agit pas d’une « technique » ; d’autre part, l’outplacement n’intervient pas en cours de licenciement mais après celui-ci (même s’il démarre souvent durant la période de préavis non-effectué).

Conclusion : le terme « outplacement » induit du métier une vision tout à la fois simpliste et trompeuse.

Un service encore peu utilisé

Alors de quoi s’agit-il ? Pratiquement, d’un contrat de prestation de services par lequel une entreprise confie à un cabinet spécialisé le soin d’accompagner, durant tout ou partie de sa transition professionnelle, le salarié dont elle se sépare dans le cadre d’un licenciement ou (depuis 2008) d’une rupture conventionnelle.

Apparu en France au cours des années 1970, ce type d’accompagnement individuel s’est progressivement développé auprès d’une population de cadres et plus particulièrement de cadres supérieurs et dirigeants fragilisés par les crises économiques successives. Assez courant dans les grandes entreprises (SBF 120) son usage est peu répandu dans les ETI et rare au sein des PME.

Reclassement, outplacement : gare aux confusions !

Avant de poursuivre, arrêtons-nous quelques instants pour éviter toute confusion entre les prestations d’accompagnement individuel et les dispositifs collectifs d’aide au reclassement rendus obligatoires dans le cadre des « plans de sauvegarde de l’emploi » (PSE). Pourquoi ?

Parce que le travail effectué dans le cadre d’un outplacement individuel n’a qu’un lointain rapport avec ce qui est mis en œuvre par les prestataires chargés de l’animation de tels dispositifs. Cette différence tient moins au contexte qu’à la finalité même de la mission. Celle de la cellule de reclassement est claire : accélérer le retour à l’emploi ou l’entrée en formation des salariés impactés. Comment ? en déroulant, pour l’essentiel en groupe, des processus stéréotypés et plutôt expéditifs, visant l’identification des compétences puis l’acquisition de « TRE » (techniques de recherche d’emploi). On cherche donc un résultat et, de fait, un résultat à court terme, qui est souvent l’objet d’incitations financières pour le cabinet prestataire. Ce résultat est-il autre chose qu’un “copier-coller” du dernier poste ? Lui permet-il de préserver, voire d’optimiser la trajectoire professionnelle à moyen/long terme ?… Est-il en accord avec le projet de vie de la personne concernée ?
Avec un bonne dose de chance, peut-être…

Des moyens pour être plus libre de ses choix

Un accompagnement individuel ne viserait-il pas de résultat ? Si, Bien sûr !  La reprise d’une activité professionnelle en est l’objet central. Pour autant, cet objet est envisagé de manière qualitative et associé à d’autres priorités, qu’il appartient à chaque client de définir. En d’autres termes, il ne s’agit pas de décrocher un job le plus vite possible, pour rayer un nom d’une liste embarrassante, mais d’obtenir un travail satisfaisant et « durable », c’est à dire un travail qui dure (ce qu’il peut durer…) sans mettre en péril l’intégrité physique ou mentale de celui ou de celle qui l’effectue.

C’est pourquoi – et cela peut sembler paradoxal – le cabinet qui assure un accompagnement individuel s’engage non pas sur des résultats, mais sur des moyens. Des moyens pour restaurer une confiance souvent vacillante et définir puis valider un projet professionnel compatible avec les choix de vie du bénéficiaire ; des moyens pour bâtir à partir de ce projet une offre (salariée ou non) qui réponde aux besoins et se situe dans une fourchette de rémunération réaliste ; des moyens encore, pour faciliter l’accès au marché de l’emploi et décliner cette offre sur tous les supports de communication pertinents ; des moyens, toujours pour trouver plus de confort et d’efficacité dans la construction d’une démarche réseau et dans l’approche des professionnels du recrutement ; des moyens, enfin, pour multiplier les opportunités et réussir ses entretiens de recrutement afin d’être en mesure de choisir in fine de poursuivre sa trajectoire le plus librement possible, au plus près de ses capacités et de ses besoins.

Un complice tout-terrain pour réussir tous azimuts

Parmi ces moyens : des outils méthodologiques, l’accès à des bases de données voire à des contacts privilégiés, éventuellement des espaces de travail. Mais, avant tout, un complice, tantôt guide, tantôt simple compagnon, qui devra créer avec son client une relation de pleine confiance, structurée autour d’entretiens individuels et complétée par des ateliers en petit groupe. Conscient que « la carte n’est pas le territoire »[1], bienveillant mais jamais complaisant, ce complice l’aidera si nécessaire à sortir de la prison de certaines représentations puis cheminera à ses côtés, éclairant son chemin, réglant son pas et  régulant son humeur (sans pour autant verser dans la psychothérapie). Tour à tour conseil, coach, « sparring-partner », il devra savoir entendre les angoisses existentielles et répondre rapidement aux questions les plus concrètes, questionner ses choix, proposer éventuellement des alternatives et, quand c’est possible, favoriser des rencontres et faire émerger des opportunités.
En revanche, en aucun cas cet être protéiforme, ne « placera » son client. Le promettre serait mensonger et absurde, parce que ce serait nier purement et simplement la liberté du recruteur et surtout celle du candidat. Complice, donc mais non sauveur. Car, quoi qu’il fasse, ce sera toujours avec le souci de l’autonomie de décision et d’action de celui ou de celle qu’il accompagne. Mais soyons clairs. Ce type de démarche est destiné à des personnes qui refusent de subir leur transition et souhaitent au contraire en profiter pour redéfinir leurs objectifs, optimiser leur trajectoire professionnelle et mener à l’avenir une vie globalement plus satisfaisante. L’objectif est ambitieux, mais il est parfaitement réalisable à une condition : que les personnes ne soient pas confrontées à une situation objective d’urgence économique. Trouver le plus vite possible une source de revenus relève d’une autre logique.

Un luxe ? Non, une nécessité !

Doit-on pour autant considérer ce type de prestation comme un simple élément de confort, voire comme un privilège contestable ? Non !  Si l’on met de côté toute considération idéologique, on ne peut nier la souffrance des personnes impactées (fussent-elles très correctement indemnisées et prises en charge par Pole Emploi). On ne peut surtout ignorer l’incidence de cette souffrance et de ses corollaires (de la simple démotivation à la dépression aiguë ou au burnout, sans parler des accidents cardiovasculaires) sur la santé publique comme sur l’ensemble de l’activité économique à court et moyen terme. En effet, la population dont il est ici question, parfois fragilisée par une pression psychologique aussi qu’improductive que nocive, constitue l’armature-même des entreprises et, partant, de l’économie nationale. Dès lors, il est plus que raisonnable de lui donner les moyens de se réinsérer dans la chaîne de valeur avec pertinence et efficacité.

En finir avec ce métier complexe, passionnant et d’une utilité qui dépasse très largement le cercle de ses bénéficiaires ? Non, encore une fois, et bien au contraire ! Car le souci affiché par l’entreprise moderne pour le bonheur de ses salariés est souvent à la mesure de sa puissance de corrosion. C’est bien le mot “outplacement” et le mot seul, qu’il s’agit de jeter dans une poubelle profonde. Mais par quoi le remplacer ? J’écarterai le terme “coaching”. Si tant est qu’on puisse encore lui conférer un sens , il n’exprime en effet qu’une fraction du travail accompli. En dépit de son manque de concision, et en attendant que quelque commission savante ne propose un néologisme convaincant, « accompagnement personnel de la transition professionnelle » a ma préférence. Car au-delà des ressources et des méthodes mises en œuvre, notre travail consiste bien à être, au côté de nos clients (considérés comme des personnes uniques et non comme des agents de production plus ou moins interchangeables), des compagnons de route respectueux, attentifs et fidèles dans les moments les plus difficiles de leur trajectoire professionnelle.

[1] Selon la formule d’Alfred Korzybski (reprise par les pères de la Programmation Neurolinguistique), qui met en lumière la différence radicale entre le ‘réel’ et la ‘réalité’, qui n’est que sa représentation subjective.)